La réunion annuelle des deux plus hautes instances législatives de Chine, l’Assemblée nationale populaire et la Conférence consultative Politique du Peuple Chinois s’est tenue à Pékin entre le 3 et le 15 mars 2019. Le gouvernement a présenté son rapport d’activité, puis il a annoncé ses prévisions et objectifs pour l’année à venir. Les délégués, issus des provinces de Chine, mais aussi des minorités nationales, ont rapporté les préoccupations de leurs administrés et les grands enjeux de leurs territoires. Vous trouverez ici les principaux points soulevés, ainsi que les solutions évoquées.
Le Président Xi qui était à l’honneur l’an passé en raison de sa réélection et de la modification constitutionnelle, est resté en retrait. Le Premier ministre Li Keqiang a fait l’essentiel des annonces et c’est lui qui a répondu à la presse chinoise et internationale en clôture de l’évènement.
Perspectives économiques
Dans un contexte de ralentissement de la croissance (au deuxième semestre 2018), le Premier ministre Li Keqiang a annoncé les objectifs économiques pour l'année en cours : entre 6% et 6,5% de croissance, la création de plus de 11 millions d'emplois et un taux de chômage urbain maintenu sous 4,5% en 2019. Pour cela, le gouvernement a conçu un plan de relance global, augmentant le déficit anticipé pour 2019 de 0,2 points à 2,8% du PIB – le niveau doit rester en-dessous des 3%. Ce déficit sera financé à la fois par l’utilisation des réserves, mais aussi par la récupération du profit de certaines entreprises publiques, ou encore par des baisses dans les frais généraux de l’Etat (certains parlent d’austérité gouvernementale), ainsi que des gouvernements locaux (à parité entre les deux).
En plus des différentes mesures de relance, le gouvernement prévoit que la Banque du Peuple pourra baisser ses taux directeurs (mais pas se lancer dans du rachat d’actifs). En revanche, le gouvernement ne veut pas surréagir ; une réaction trop forte pourrait porter à conséquence sur les questions de dette.
Consommation
La consommation est devenue le premier levier de croissance de la Chine et s’établit désormais à un très haut niveau. En 2018, la croissance de la consommation intérieure s’est ralentie. Pour le gouvernement, le soutien à la consommation doit passer par un soutien à l’emploi et aux entreprises ; il ne prévoit donc pas d’aides supplémentaires à la population.
Entreprises
Les entreprises, et notamment les petites et micro-entreprises (PEMIC) sont au cœur des préoccupations du gouvernement. Elles assurent l’essentiel des emplois en Chine et ont subi de plein fouets les difficultés économiques du deuxième semestre 2018. D’autre part, elles avaient été délaissées par les subventions publiques, au profit des entreprises publiques. La Chine compte 34 millions d’entreprises et 110 millions d’acteurs économiques et a atteint le niveau record de 18 000 créations d’entreprises par jour. Le plan proposé par le Premier ministre Li Keqiang doit permettre un rééquilibrage entre secteur public et privé selon les modalités suivantes :
Réduction d’impôts pour un montant de 2000 milliards de yuans soit 263 milliards d’euros. A partir du 1er avril, baisse de 3% de la TVA du secteur manufacturier (de 16% à 13%) et de 1% pour le secteur du BTP (10% à 9%). Les augmentations de TVA des autres secteurs sont gelées (tranche à 6%). A partir du 1er mai, baisse des cotisations sociales des entreprises de 20% à 16%.Réduction du temps d’obtention des licences nécessaires à la création d’entreprises (22 jours il y a quelques années) : de 8,5 jours à 5 jours, voire 3 par endroits.Réduction des frais aux entreprises de 180 milliards de yuans : de -20% la fourniture de réseau internet ainsi que de -10% sur l’électricité industrielle et commerciale.L’accès au crédit sera favorisé : la Banque du Peuple va continuer à baisser le taux de réserve obligatoire pour les banques (déjà abaissé quatre fois sur 2018, pour limiter les coûts du crédit et augmenter leur nombre). Toutefois le risque systémique sera maîtrisé par une évaluation du risque entreprise pouvant entraîner refus voire condamnation en cas de fraude.
Emploi
Le gouvernement prévoit 15 millions de nouveaux entrant sur le marché du travail en 2019, dont 8,3 millions de diplômés des universités. La Chine compte également 280 millions d’ouvriers-migrants, un chiffre qui augmente de plusieurs millions par an. Ces travailleurs irriguent la campagne et donnent de l’espoir aux familles rurales ; leurs emplois doivent être sauvegardés, d’où les mesures en faveur des entreprises.
Loi sur les Investissements étrangers
La loi sur les investissements étrangers votée par l’APN remplace trois anciennes lois. Elle met en place de nouveaux documents normatifs et une régulation plus claire. Le nouveau cadre sera mis en place dans les prochains mois. Les atteintes concernant la propriété intellectuelle sont interdites, et elles feront l’objet de lois ultérieures.
Hong-Kong, Macao et Taïwan ne sont pas concernés. Ils constituent 70% des investissements étrangers ; ils sont assujettis à des droits de douane spéciaux. Et les conditions seront plus favorables pour les investissements taïwanais.
Ouverture économique
La Chine est la première destinatrice d’IDE parmi les émergents et souhaite le rester en approfondissant son ouverture. La liste négative de restriction aux investissements sera encore réduite. Ainsi le secteur des infrastructures sera retiré de cette liste. L’ouverture continue d’être progressive, pour ne pas mettre à mal l’économie.
Réduction de la pauvreté
La Chine est entrée dans la phase finale de son plan d’élimination de la grande pauvreté (moins de 4000 yuans par an), qui doit s’achever en 2020. Le Président Xi Jinping que l’effort se porterait sur la création de villages touristiques, d’ateliers de sous-traitance en zone rurale, mais aussi sur la lutte contre les trucages de statistiques. D’ores et déjà, la nourriture et l’habillement ne sont plus des problèmes en Chine. En 2018, 13,86 millions de personnes ont été sorties de la pauvreté, une des solutions privilégiées restant le relogement (2,8 millions) accompagné de la rénovation des logements ruraux (8,1 millions).
Personnes âgées
Le vieillissement de la population chinoise est un défi pour le gouvernement chinois. 250 millions de Chinois ont désormais plus de 60 ans. Comme la Chine doit également prendre en charge 100 millions d’enfants de moins de 6 ans, elle ne peut disposer que de 3 lits pour 100 personnes âgés. La faiblesse des services sur ce public fragile fait que, dans certaines villes il faut attendre 90 ans pour obtenir une place dans les maisons de retraites. Le gouvernement veut mettre l’accent sur des institutions de proximité avec un niveau de service sûr et fiable. Le Ministère des ressources humaines et des affaires sociales envisage de créer 1 million de lits pour personnes âgés sur 3 à 5 ans. Les gouvernements de provinces seront en charge, avec des financements assurés par redistribution au niveau national. Un budget d’urgence pourra également être débloqué pour atteindre l’objectif. Il incombe donc principalement au secteur public de créer des maisons de retraite accessibles à tous. D’autre part, les pensions sont revalorisées en permanence en conséquence de l’inflation.
Commentaire
L'espace des entreprises privées s’était réduit au cours des dernières années, car les subventions avaient été redirigées vers les entreprises d'Etat. A l’occasion des deux sessions, les PEMIC ont revendiqué un changement de politique, car elles sont affaiblies par la guerre commerciale avec les Etats-Unis. Cet appel a été semble-t-il entendu par le gouvernement (les médias s’en sont largement fait le relai) et celui-ci souhaite désormais améliorer le cadre de ces entreprises qui fournissent une grande partie des emplois.
Le plan gouvernemental pour 2019 marque également un tournant, car il entérine la fin de la lutte contre l’endettement qui avait été la priorité du gouvernement jusqu’à l’été 2018. Désormais la croissance seule est prioritaire et les mesures annoncées en soutien aux entreprises sont plus élevées que les années précédentes. Le gouvernement annonce pour 2019 plus de 2000 milliards de yuans d’abattement fiscal, notamment sur les PEMIC contre 1300 milliards en 2018 (constaté) et 1000 milliards en 2017 et en 2015.
La mutation de l’économie se poursuit de manière progressive. L’élimination des surcapacités en sidérurgie ou dans l’industrie houillère est toujours en cours ; elle répond également à l’objectif d’élimination des industries polluantes. La consommation sera soutenue par une politique favorable aux sociétés et à l’emploi, ciblant les PEMIC qui en est le principal pourvoyeur. Inversement les grandes entreprises d’Etat devront reverser une partie de leurs bénéfices pour alimenter cette péréquation. La montée en gamme technologique des entreprises (selon le plan Internet +) va se poursuit avec les mesures sur le prix de l’électricité ou de la fourniture internet qui permettront aux entreprises d’acquérir davantage d’appareils électriques connectés (machines ou ordinateurs). Le soutien aux industries de pointe ne sera pas remis en question par cette politique en faveur des PEMIC et le e-commerce qui permet à ces entreprises de trouver des clients ne devrait pas subir de régulation excessive.
Le gouvernement chinois a cherché un plan équilibré permettant un soutien à la croissance dans un contexte extrêmement contraint, sans toutefois déséquilibrer l’éco-système chinois qui commence à trouver une forme de stabilité. La Chine avance désormais sur deux jambes : ses grandes entreprises publiques ou privées qui ont une forte valeur technologique ajoutée et ses PEMIC qui offrent aux 897 millions d’actifs un emploi. L’équation peut devenir difficile à tenir si le contexte commercial extérieur continue de se tendre ; en effet, si les exportations sont désormais loin derrière la consommation comme moteur de la croissance (trois quarts / un quart environ), son poids est toujours suffisant pour mettre en difficulté non seulement des entreprises, mais surtout des régions. D’autre part, la politique en faveur des PEMIC est soumis à l’aléa géographique, chaque région ayant une certaine autonomie par rapport à Pékin, pouvant remettre en cause des décisions (notamment de péréquation) qui ne lui seraient pas favorable. Toutefois, le climat pour exporter en Chine va continuer à s’améliorer, puisqu’il s’agit (pour les villes) du seul marché développé à connaître une véritable inflation. Le cadre aux investissements étranger sera également meilleur du fait de la pression accrue du gouvernement central sur les pouvoirs locaux pour un respect des règles de concurrence. Il ne faut cependant pas attendre de miracle de la nouvelle loi sur les investissements, qui entérine seulement le fait que les entreprises qui fabriquent en Chine produisent désormais une valeur ajoutée importante, destinée au marché chinois, et qu’il faut protéger.