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L'objectif de l'Association franco-chinoise de développement commercial partagé est d'améliorer la compréhension réciproque entre Chinois et Français
et de favoriser la création de liens commerciaux durables entre les deux peuples.

Vers des puces et des semi-conducteurs 100% chinois ?
Par AN Na (Anna)
Dans la guerre des puces actuelle, comment les Chinois se préparent-ils à une indépendance vis-à-vis des Américains ? Quelle est la stratégie politique chinoise pour une souveraineté en matière de puces ?
    Aujourd’hui, la fabrication de puces connaît un problème de pénurie sans précédent. Non seulement la fabrication des smartphones mais aussi celle des véhicules, qui sont de plus en plus connectées, est menacée. L’industrie des puces, celle des semi-conducteurs, ou encore l’industrie des circuits intégrés, sont toutes des industries fortement mondialisées. Selon une étude d’Accenture, un composant électronique parcourt jusqu'à 40 000 km lors de sa phase de production. L'organisation de la filière se découpe en plusieurs strates, de la conception de la puce jusqu’au produit fini auquel elle est intégrée. Les usines Volkswagen en Allemagne ont dû connaître une phase d’arrêt des lignes de production de certaines séries de véhicule à cause du manque d’un type de puce précis fabriqué à Taiwan. La pandémie de Covid-19 n’a pas seulement appris aux peuples du monde entier comment à faire du zoom ; elle a également averti certains pays, et notamment la Chine de la nécessité d’avoir une chaîne de valeur la plus autonome possible, eu égard aux industries ultra-stratégiques comme celle des semi-conducteurs.
 
Rachats et acquisitions chinois
   La première logique politique chinoise vis-à-vis du développement de l’industrie des puces est l’acquisition d’entreprises étrangères dans le domaine. Or c’est une pratique qui avait commencé il y a déjà longtemps, pour d’autres secteurs.

    Entre 2010 et 2020 on dénombrait 650 acquisitions chinoises sur le sol européen dont 72 en France (au troisième rang, derrière l’Allemagne, 174, et le Royaume-Uni, 102 opérations). Certaines marques françaises iconiques ont été rachetées intégralement ou partiellement, comme le Club Med (acquise par le Groupe Fosun en 2015), Lanvin (également acquise par ce dernier) ou l’Olympique Lyonnais (20% des parts vendues à un fonds d’investissement chinois, IDG Capital en 2017 – filiale de China Oceanwide / Zhongguo fàn hai kònggu jítuán, un conglomérat national chinois).

   Pékin glisse aujourd’hui vers des acquisitions dans des secteurs beaucoup plus stratégiques et particulièrement dans l’industrie des semi-conducteurs, des puces, des véhicules autonomes et de l’énergie renouvelable. Les points faibles de la Chine restent principalement le design, la conception des puces, et des fondeurs géants (nécessaire à la fonte du silicium, élément fondamental de la fabrication). Les Chinois concourent à racheter des entreprises étrangères de différentes strates de l’industrie, avec pour objectif de construire des sites en Chine qui permettent d’avoir une chaîne d’approvisionnement complète et autonome. C’est la principale raison pour laquelle la Chine a racheté des entreprises comme Linxens (France) et Camtek Ltd (Israël).
 
   Linxens, un des leaders français en semi-conducteur, a été vendu en 2018 pour 2,2 milliards d’euros à l’entreprise chinoise Ziguang Liansheng, filiale à 100% de Tsinghua Unigroup (Ziguang Jítuán), un groupe étatique chinois, spécialisé en électronique. A la suite de son rachat, Linxens a annoncé en 2019 la construction d’une usine dans la ville de Tientsin (une demi-heure de TGV de Pékin) au sein du Parc Technologique de Binhai Gaoxin avec un investissement de 260 millions d'euros au total. Le site sera la plus grande usine de production de Linxens devant ses 10 autres sites de production à travers le monde. Le but est d’établir une chaîne d’approvisionnement complète, sécurisée, contrôlable et autonome comprenant la fabrication des puces ainsi que des éléments clés sur le territoire chinois. Ce rachat s’inscrit au cœur de stratégie de Tsinghua Unigroup, car celui-ci possède une autre entreprise essentielle de la fabrication de semi-conducteurs, cotée en bourse à Shenzhen - Unigroup Guoxin Microelectronics (Ziguang Guówei). Elle est le numéro un chinois de la fabrication de puces sécurisées intelligentes, les puces mémoire à haute stabilité, les FPGA (Field Programmable Gate Arrays ou "réseaux logiques programmables"), les dispositifs de puissance semi-conducteurs et les dispositifs à fréquence cristalline ultra-stable.

   L’entreprise a quatre filiales réparties en Chine : Pango Micro (Shenzhen Ziguang Tóngchuàng) dans la ville de Shenzhen, Wuxi Unigroup Microelectronics (Wúxi Ziguang Weidiànzi) dans la ville de Wuxi – Province du Jiangsu, Jingyuan Electronics (Tángshan Guóxin Jingyuán) à Tangshan – Province du Hebei ainsi que Tongxin Micro (Ziguang Tóngxin Weidiànzi)
   
   Le Groupe Ziguang Guowei a lui-même voulu racheter Linxens en 2019 mais la proposition a été rejetée par China Securities Regulatory Commission (Zhongguó Zhèngjianhuì) avec le motif de non-clarification des bienfaits de l’acquisition. 

 
L’approvisionnement en semi-conducteurs, une problématique majeure pour le conglomérat géant chinois – SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corporation, Zhongxin Guoji)
    Le groupe SMIC, leader chinois de la fabrication de puces, fondé en 2001, possède déjà quatre méga-sites de production dans toute la Chine (Shanghai, Pékin, Tientsin et Shenzhen). Mais il est confronté à des difficultés sans précédent concernant la fabrication de ses propres puces, dues à la guerre commerciale lancée par les Etats-Unis.

    D’après un spécialiste chinois du secteur des puces, 90% des équipements en semi-conducteurs servant à la ligne de production de puces de SMIC sont en provenance de l’étranger, dont 60% sont américains. Le géant chinois possède donc seulement 10% d’équipements Made in China. Le point faible des usines domestiques réside dans le fait qu’aucune d’entre elles n’est capable de produire en quantité l’équipement clé pour la production de puces : les EUV Mask Aligner (lithographie EUV en français, EUV - lithographie extrême ultraviolet). Le géant mondial de fabrication de machines de photolithographie est l’entreprise néerlandaise ASML dont le plus grand actionnaire est le fonds d’investissement américain CGC (The Capital Group Companies).

   Après avoir été inscrite sur la liste noire des entités pendant l’hiver dernier par BIS (Bureau of Industry and Security) du Ministère du Commerce des Etats-Unis, le groupe SMIC a perdu une très grande partie de son approvisionnement en équipements semi-conducteurs pour fabriquer ses puces. Depuis lors, pour chaque pièce importée depuis les Etats-Unis, le groupe à l’obligation d’obtenir une licence délivrée par le gouvernement américain. Non seulement le groupe subit des licences délivrées de manière aléatoire en raison des turbulences des relations commerciales sino-américaines, mais surtout personne ne peut garantir le délai d’importation de ces équipements et de mise en production.
   Une autre origine des soucis qui occupent les dirigeants de SMIC est fortement liée aux caractéristiques particulières de l’industrie des puces. Pour fabriquer des puces de différentes générations (les puces en 5nm constituent la norme de dernière génération actuellement en activité), il faut des équipements et des technologies sur-mesure. Chaque changement d’équipement signifie un coût supplémentaire pour la recherche et le développement de technologies compatibles. Le cas de SMIC représente les mêmes dilemmes que pour ses confrères chinois.

    Malgré tout, le groupe a publié plusieurs communiqués depuis le début de cette année concernant la construction de deux nouveaux sites de production : l’un à Shanghai et l’autre dans le District Yizhuang situé à la périphérie de Pékin. Le futur site de Shanghai sera principalement dédié à la production de puces en 14 nm et en dessous pour un investissement total de 7,5 milliards d’euros, dont 6,1 milliards d’euros concernant les coûts d’acquisition et d’installation de l’équipement de production. Le site de production prévu à Pékin sera doté d’un investissement de 47,1 milliards de yuans soit près de 6 milliards d’euro en tout. 

 
Une politique étatique puissante dans le but de promouvoir le développement de l’industrie des circuits intégrés (suppression de l’impôt sur les entreprises, acquisition de talents et investissement massif)
   Fin 2019, le Conseil des Affaires d’État (Guówùyuàn) a détaillé 37 mesures pour encourager la recherche et le développement dans l’industrie des circuits intégrés et celle des logiciels. Le gouvernement chinois a mis en place pour la première fois une politique d’incitation fiscale de très grande ampleur – la suppression de l’impôt pendant 10 ans pour les entreprises produisant – ou des projets de fabrication – de puces en 28nm, et d’au moins 15 ans pour celles ayant des projets sur les puces plus petites. Pour les entreprises qui fabriquent des puces en 63 nm et en dessous, la mesure antérieure reste inchangée – 5 ans de suppression de l’impôt et 5 ans de réduction de l’impôt de moitié. Cela signifie qu’au cours des dix ans à venir, l’État accordera plus d’attention au soutien des projets avancés et développés par l’industrie des circuits intégrés. Le terme employé par le gouvernement chinois à propos de la production, Zìzhu Kekòng siginifie « autosuffisante et contrôlable », mais on peut le comprendre comme signifiant : « Souveraineté des puces ». La réalisation de cette souveraineté sera notamment axée sur le rapatriement de la fabrication des puces et des semi-conducteurs sur le sol chinois.
 
   L’accent est également mis sur la formation et l’acquisition de talents en matière de circuits intégrés et de semi-conducteurs. Il y aura plus d’investissement à la fois pour la formation en ces matières mais aussi pour les recherches scientifiques considérées comme ultra-stratégique. Concernant l’acquisition de talents, on observe déjà quelques initiatives d’entreprises chinoises auprès de talents de haut niveau, expérimentés, et passés par des compétiteurs étrangers ; ceux-ci viennent bien souvent diriger les équipes-clés, c’est-à-dire les équipes R&D des entreprises. Illuvatar Corex (Shanghai Tianshù Zhìxin), créée en 2015 et basée à Nankin, a réussi à fabriquer la première puce haut de gamme chinoise en GPGPU (general-purpose computing on graphics processing units) destinée au cloud computing. L’une de ses équipes clé en R&D est composée d’anciens talents en engineering d’AMD (Advanced Micro Devices) Shanghai. La même logique préside, pour une autre entreprise de Nankin en EDA (Electronic Design Automation) de semi-conducteurs, X-EPIC (Xinhuázhang), qui a convaincu notamment l’ancien Directeur général adjoint de Synopsys de les rejoindre pour définir la stratégie de l’entreprise. Un ancien vice-président de Cadence, avec plus de 30 ans d’expérience a aussi rejoint la société en tant que responsable scientifique. A noter que les entreprises américaines comme Synopsys, Cadence, Mentor Graphics ou Ansys, contrôlent environ 90% du marché mondial de semi-conducteurs.

   Le troisième grand axe à retenir de ces 37 mesures chinoises est l’investissement massif, à la fois par des fonds nationaux chinois mais aussi via de nombreux fonds privés. En janvier 2021, deux start-ups chinoises de semi-conducteurs ont réussi leurs levées de fonds. (MEMSIC, 128,53 millions d’euros, et Enflame, 232,88 millions d’euros). Le premier, MEMSIC (Meixin), basée dans la ville de Tianjin, spécialisé en puces de détection, a levé ses fonds notamment auprès des fonds étatiques chinois comme Fenghua Capital (Fenghuá Ziben) détenu par Groupe Citic et Guofang Capital – Guófang Ziben). CITIC et CICC Alpha (Zhongjin Jiazi) ont investi dans l’entreprise de Shanghai, Enflame (Suíyuán Kejì), spécialisée dans la fabrication des puces pour l’IA. Par ailleurs, le gouvernement chinois encourage tous les gestionnaires de fonds à établir des fonds thématiques, dédiés à l’industrie des puces. Par exemple, en octobre 2019, le Fonds national d’investissement dans les circuits intégrés de la Chine (Big Fund Phase II) a mis en place un nouveau fonds d’un montant de 204,15 milliards de yuans soit 28,9 milliards de dollars, marquant ainsi le début de la deuxième phase de son soutien aux fabricants chinois de puces. 
L’Europe, quelle stratégie de souveraineté des puces vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Asie ?  
  Récemment l’Italie a mis son veto au rachat d’une entreprise de semi-conducteur par Shenzhen Invenland Holdings Co. Le Président du Conseil Mario Draghi a annoncé cette nouvelle en insistant sur l’enjeu stratégique du secteur des semi-conducteurs. On voit notamment à travers ce geste ferme du gouvernement italien la prise de conscience par les pays européens vis-à-vis des opérations concernant les secteurs stratégiques .
 
  Thierry Breton, commissaire européen pour le Marché intérieur, a fixé de nouvelles ambitions à l'Europe : produire 20 % des semi-conducteurs mondiaux d'ici à 2030, contre un peu moins de 10 % actuellement. (Les Echos). Mais est-ce que les investissements mis en face de sont suffisants, face aux investissements massifs des géants mondiaux de l’industrie ? Par exemple, le géant taïwanais TSMC avait dévoilé un investissement de 12 milliards l'année dernière pour installer une unité de production aux États-Unis. On voit clairement via l’exemple de TSMC et de nombreuses entreprises chinoises, que les montants sont véritablement la mesure des enjeux. Toutefois l’Europe et la France possèdent notamment une forte capacité en R&D, qui peut concerner la phase essentielle de conception des puces. Donc développer et surtout soutenir les start-ups européennes dans le domaine pourrait être une voie intéressante à la fois pour la French Tech mais également pour la souveraineté et la sécurité européennes en la matière.
 
 
 



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