Bilan de la visite d’Etat du Président Macron en Chine Dans son discours de Xian, le Président Macron a rappelé l’ancienneté et la profondeur des liens entre la Chine et la France qui sont deux civilisations situées de part et d’autre de la route la soie. Ainsi l’Occident a découvert la Chine via la sinologie française ; aujourd’hui encore la France (via l’Inalco) contribue à éclairer le passé de la Chine et participe à la restauration de son patrimoine. Les deux pays ont un « souci conjoint d’appréhender le monde dans sa complexité » : une « évidence » s’impose, celle « d’un avenir partagé, [...] d’un destin commun ». Pour forger ce destin commun, le Président Macron a posé trois piliers.
Intelligence
La Chine suscite des peurs car son émergence a changé le monde. Mais elle possède une conscience aigue des enjeux de son développement qui a transparu sur les questions climatiques : elle doit expliquer au monde sa vision. Pour renforcer cette compréhension, mais aussi faire profiter la France de la brillante culture contemporaine chinoise, le président Macron a rappelé les nombreux projets culturels en cours (Centre Pompidou à Shanghaï, Rencontres d’Arles à Xiamen) ; il a proposé un grand projet culturel commun à Paris portant sur les routes de la soie et la création d’un institut européen de sinologie pour accélérer la recherche. Le président français a expliqué l’intérêt des jeunes français pour la Chine : les étudiants français sont 10 000 en Chine, soit le plus gros contingent européen. En parallèle, il veut faire de la Chine une « terre de francophonie ». En effet explique-t-il, le français n’est pas une langue hégémonique, elle se nourrit du plurilinguisme.
Justice
La lutte contre les inégalités est un défi pour le monde entier, mais seule la France actuelle et la Chine de Xi agissent réellement sur ce sujet. Le développement mondial aussi doit être partagé, et l’éducation doit être utilisée : les systèmes d’éducations des deux pays doivent renforcer leur coopération. Dans le même sens, la visite a vu la signature d’un accord entre l’AFD et la China Development Bank portant création d’un fond d’investissement de 1 milliard de dollars destiné à l’Afrique.
La Chine ne doit pas tomber dans l’erreur qui a été celle de la France, d’un « impérialisme unilatéral ». La collaboration franco-chinoise, notamment vis-à-vis de l’Afrique peut aider à éviter cet écueil.
Enfin les visions doivent se rapprocher sur le commerce, dans le cadre de l’OMC, comme l’a précisé depuis la déclaration conjointe finale.
Equilibre
« Notre histoire à l’un et à l’autre nous a conduits à penser les équilibres du monde. » Le Président Macron a remercié la Chine de sa participation aux solutions collectives : dénucléarisation de la péninsule coréenne, réchauffement climatique, lutte contre le financement du terrorisme. Les règles du multilatéralisme doivent être réinventées pour préserver l’équilibre et lutter contre ceux qui seraient tenté par l’unilatéralisme. Enfin, le président français a proposé sa participation aux nouvelles routes de la soie (la France est déjà membre de la Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures – AIIB), à condition qu’elles deviennent des routes en partage. La Chine n’est plus un pays en développement et elle doit faire profiter les autres et se garder de les vassaliser.
De son côté, le Président Xi s’est déclaré en faveur du multilatéralisme et d’un renforcement de la coopération bilatérale de haut niveau. La Chine souhaite la reprise et la poursuite de l’intégration européenne, afin d’avoir un interlocuteur plus stable
Enjeux économiques
Dans son discours au forum de l’intelligence économique, le Président Macron a expliqué que la France est confrontée à une double problématique vis-à-vis de la Chine. D’une part, sa balance commerciale est très largement déficitaire (15 milliards d’euros contre 45), c’est-à-dire concrètement que les bateaux qui apportent les marchandises chinoises en France repartent à vide. Et d’autre part, les investissements chinois en France sont bien plus faibles que les investissements français (Cathay Capital et BPI notamment) en Chine. Il s’agit donc de rééquilibrer la balance par le haut dans les deux cas. Pour cela, Chine et France peuvent établir une stratégie concertée. Le Président Xi, en soutenant de manière inconditionnelle l’accord sur le climat, l’a sauvé. Il faut poursuivre sur cette lancée et l’AFD s’est engagée à poursuivre son soutien à la transition écologique en Chine (déjà plus d’un milliard d’euros d’engagés).
Dans les secteurs de coopération traditionnels comme le nucléaire, l’aéronautique ou le sport (en vue des JO 2022 en Chine et 2024 en France), la Chine et la France ont décidé de renforcer leur coopération. On signalera notamment la poursuite du programme EPR (le premier a été inauguré à Taishan dans le Guangdong), une coopération sur une usine de retraitement de déchets nucléaire en Chine et la création d’une école franco-chinoise d’aviation à Hangzhou.
D’autre part, le Président Macron a identifié, à l’occasion de la conférence de presse qui s’est tenue à Pékin, trois secteurs d’activité porteurs. Sur l’agroalimentaire, il a obtenu un plus large accès au marché chinois pour le bœuf (levée de l’embargo), le porc et les fruits et légumes français. Par ailleurs, la demande en produits alimentaires français a crû de manière importante ces dernières années, en faisant un secteur d’opportunité. Concernant l’intelligence artificielle, sur laquelle les Chinois sont en pointe, la France souhaiterait un échange avec les chercheurs chinois, impliquant l’Inria et le CNRS, dans le cadre d’une feuille de route plus large d’échanges entre chercheurs sur les innovations de rupture. Enfin, dans le domaine médical et notamment celui de la silver economy, la France pourrait apporter une expertise sur un sujet qui va devenir central pour la Chine dans les années à venir.
Concernant les investissements croisés, le président français a indiqué que les secteurs non-stratégiques doivent être définis comme destination possible des investissements, avec charge pour les gouvernements de définir quels secteurs ils souhaitent protéger ou non.
Cependant le Président Macron a également relevé deux défis, que la Chine est en train de résoudre : celui de ses surcapacités qu’elle ne peut plus faire supporter à ses partenaires et celui de la protection de la propriété industrielle.
Pour faciliter la coopération entre les entreprises les deux présidents ont lancé le premier Conseil d’entreprise franco-chinois afin que les entreprises proposent le « meilleur de l’offre française à l’économie chinoise ».
Conséquences
Alors que le Président Hollande n’avait jamais vu en la Chine qu’un partenaire de circonstance au moment la COP 21, le nouveau pouvoir politique français souhaite désormais une relation suivie et accorde une véritable priorité à la Chine. Le long voyage du Président Macron a donné un réel élan à la coopération franco-chinoise, élan qui devrait se poursuivre au cours des cinq prochaines années correspondant au cycle politique de la France et de la Chine. Il faudra suivre avec attention les jalons posés, notamment concernant les modifications des secteurs d’activités ouverts à l’investissement chinois et réciproquement français, mais aussi les traductions concrètes de la création d’un Conseil d’entreprise franco-chinois. Les discussions ont peu d’effets directs concernant les PME/ETI, mais la porte est ouverte aux initiatives et les agents de l’Etat sont davantage encore mobilisés pour faire réussir les coopérations binationales. La coopération franco-chinoise pourrait encore s’approfondir sur les trois axes que nous allons évoquer et qui furent au cœur de cette visite.
Tout d’abord, la complémentarité franco-chinoise vis-à-vis du marché africain (expertise française et moyens chinois). L’Afrique pourrait constituer un terrain neutre à même de lever les appréhensions françaises quant aux partenaires chinois. Cependant le fait que la déclaration conjointe finale ne fasse pas mention d’éléments tangibles quant à cette collaboration pourrait refléter une certaine réticence des autorités chinoises sur le sujet. Il convient donc d’apporter par l’exemple la preuve de l’utilité de la coopération franco-chinoise pour le développement de l’Afrique afin que s’ouvre au plus tôt un dialogue intergouvernemental sur le sujet.
Le secteur de l’intelligence artificielle est important pour le président français qui lui a consacré une longue intervention. Cependant la coopération entre chercheurs des deux pays est incertaine et la France ne doit pas compter sur la Chine pour lui mettre le pied à l’étrier sur le sujet, trop stratégique. En revanche, un approfondissement des échanges au niveau universitaire pourrait permettre à moyen terme de renforcer les contacts informels entre chercheurs et/ou entrepreneurs.
Le dernier point à évoquer est la francophonie, au cœur de la démarche de l’AFCDCP et sur laquelle le Président Macron a lourdement insisté, sans toutefois obtenir d’échos de la part des autorités chinoises. Là encore, les autorités françaises doivent œuvrer à soutenir, outre les écoles et Alliances française, les initiatives ponctuelles allant dans ce sens : partenariats universitaires, échanges linguistiques, coopérations culturelles et associatives. Il convient cependant d’être optimiste sur le sujet car l’attrait très fort de la Chine pour l’Afrique francophone pourrait amener son gouvernement à réviser sa position. D’autre part et toujours dans une optique d’un « avenir partagé », la France pourrait encore développer l’enseignement du chinois au sein de l’enseignement publique.
En matière de politique internationale, la France et la Chine ont ponctuellement des intérêts convergents. Le Président Macron semble vouloir transformer cet accord ponctuel en un axe Sino-européen libre-échangiste, multilatéraliste et écologiste capable de résister à Trump et Poutine sur la durée. Il a défini un véritable plan d’action pour cela depuis son accession au pouvoir, en préparant soigneusement cette visite depuis près de 9 mois (dialogues de haut niveau notamment sur l’éducation, visite de du Ministre de l’Economie, puis du Ministre des Affaires étrangères). Il assurera un suivi en se rendant une fois par an en Chine.